Je souhaite ici partager une définition de la société inclusive et ses fondements (sur ce point, je m’appuierai essentiellement sur le livre de Charles GARDOU : La société inclusive, parlons-en ! Il n’y a pas de vie minuscule – livre lumineux qui guide aujourd’hui ma réflexion !)
La société inclusive, c’est quoi ?
La société inclusive est celle qui va mettre à l’intérieur de ses frontières, de ses valeurs, de ses normes, tous ceux qui en font partie de droit. Dans une société inclusive, chacun a sa place !
Le schéma ci-après illustre la définition d’une société inclusive et la distingue d’une société qui intègre, exclut ou entraine la ségrégation :
Entre l’intégration et l’inclusion, le rapport à la norme est différent :
L’intégration va permettre à quelques-uns de ceux qui sont dehors, exclus de la norme du système ordinaire, de venir en faire partie. La condition de l’intégration était de rejoindre la norme, d’être au plus près de la norme, d’avoir surmonté, voire annulé, ce qui constituait le hors-norme.
Dans une société inclusive, il n’y a pas ceux qui sont dans la norme et les autres. Tout le monde est « normal », quel que soit l’écart à une pseudo-norme qui serait définie par une moyenne de performance dans une population. La norme est élargie à tous.
Qu’on soit fille ou garçon, noir ou blanc, valide ou handicapé, sourd ou entendant, on fait partie de la norme, on fait partie de l’environnement ordinaire, on ne peut plus en être exclu. Ce qui veut dire que les environnements faits pour les hommes, pour TOUS les hommes doivent être normés pour tous, c’est-à-dire se rendre accessibles à tous. C’est donc à l’environnement de changer pour prendre en compte l’élargissement de la définition de la norme.
Ce n’est donc plus à la personne handicapée de s’adapter pour tenter d’atteindre la norme. La notion d’inclusion nous engage par conséquent à voir autrement ce que c’est d’être pleinement humain, à se représenter autrement la place des personnes handicapées dans la société, et à ne pas vouloir réparer les personnes avec des différences pour les faire rejoindre à tout prix le cercle fermé de la normalité qu’on a soi-même préalablement définie.
La société inclusive et ses fondements
Dans son livre sur la société inclusive, Charles GARDOU identifie 5 fondements sur lesquels une société inclusive peut s’édifier :
– Vivre sans exister est la plus cruelle des exclusions
– Il n’y a ni vie minuscule, ni vie majuscule
– Tout être humain est né pour l’équité et la liberté
– L’exclusivité de la norme, c’est personne et la diversité, c’est tout le monde
– Nul n’a l’exclusivité du patrimoine humain et social
Je ne vais pas détailler les 5 mais m’attarder sur le fondement qui m’a éclairé pour ne pas dire éveiller en moi le besoin de cette aventure ! Il s’agit de « Vivre sans exister est la plus cruelle des exclusions » !
Pour Charles Gardou, « une société inclusive ne défend pas seulement le droit de vivre mais celui d’exister ». Selon lui, « la plupart des personnes en situation de handicap sont dans la société sans y être réellement et sans en être vraiment. Elles gardent toujours un sentiment d’extranéité. […] Aux mains des autres qui décident pour elles ; qui les prennent en charge sans les prendre en compte comme sujets et acteurs de leur propre histoire et d’un récit commun. Privées du droit à l’insoumission et réduites au rôle de patients, elles vivotent ou survivent. »
Je partage ce que dit C. Gardou. Même si aujourd’hui l’accompagnement des personnes handicapées a considérablement évolué, la plupart d’entre elles restent aujourd’hui sur le seuil de la société. Accueillies dans des structures en campagne ou loin des centres villes, elles sont géographiquement et symboliquement « parquées »….oui, l’immobilier coûte cher, nous dit-on !
Dans les foyers de vie, les personnes handicapées vivent bien ; des activités leur sont proposées, des sorties de temps en temps…mais je ne peux m’empêcher de me poser la question de Charles GARDOU : elles vivent mais est-ce qu’elles existent ? On existe, quand on contribue à la société, quand on est reconnu dans le regard de l’autre, quand ses désirs (et non pas uniquement ses besoins) sont pris en considération.
Pour Gardou, 4 éléments sont nécessaires pour permettre d’exister à une personne fragilisée par un handicap :
– « Valoriser ses ressources, ses capacités, d’intensité et d’expression variable. Sous ses limites apparentes, ses compétences enfouies, ses talents, sa créativité. Son génie singulier. Il n’est personne qui n’apporte une contribution, du moins potentielle, à la culture et qui n’interroge le fonctionnement social. »
Je suis tellement convaincue pour ma part que les personnes handicapées ont des trésors à partager à la société. Leur humanité, leur sens du lien social, leur talent….tout cela est malheureusement trop souvent enfoui en eux, eux-mêmes enfouis dans des structures.
– « Reconnaître leurs désirs. Le sentiment d’exister ne consiste pas seulement à combler les besoins de bien-être organique ou ceux nés de la vie en société. Il repose aussi sur l’expression et la prise en compte des désirs : ils ne sont pas un luxe réservé à ceux qui n’auraient pas de besoins « spéciaux ».[…] On leur signifie pourtant trop souvent : « Leurs besoins sont satisfaits, n’est-ce pas suffisant ? »
Combien de fois on s’entend dire que nous avons eu la chance d’avoir une place dans telle structure ou dans tel établissement ? Mais est-ce vraiment le choix, le désir, le projet de la personne handicapée ? Les places sont tellement rares que l’on ne pose plus la question.
Gardou ajoute à ces 2 éléments la nécessité « d’entendre » les personnes handicapées, en dépit parfois de l’absence de mots et enfin « de les libérer de la cage des peurs ancestrales et des ignorances superstitieuses ». « La liste est longue des idées reçues, des préjugés, des stéréotypes et des affabulations qui les enserrent. » Dans notre histoire, il est en effet lourd l’héritage des règles d’exclusion envers ceux que l’on considérait comme des bannis de la société. Souvenons-nous qu’en des temps anciens on tuait l’infirme, qu’en des temps pas si anciens on l’enfermait. Comme le souligne justement un texte rédigé dans le cadre de la biennale HANDI INSERTION, « nous ne nous débarrasserons pas de ces vieilles craintes à seuls coups de subventions et nous ne résoudrons pas en un siècle une exclusion millénaire. Accepter de vivre continûment avec les personnes handicapées, c’est aussi apprendre à maîtriser ses craintes et accepter de faire un travail sur soi ; et c’est peut être ici la plus haute marche que nous aurons tous à franchir pour atteindre les objectifs d’inclusion des personnes handicapées qui sont exprimés ici. Débarrassés de la culpabilité et du désir de réparation, nous pourrons ainsi, pour la première fois dans l’histoire, ne plus parler des handicapées, invalides ou des exclus, mais simplement de femmes et d’hommes dont les contraintes et les besoins sont différents des nôtres et le désir de vivre le même. » et j’irai plus loin à la suite de Charles Gardou en précisant : « le désir d’exister le même ! »
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Mes sources pour cet article :
– Article de de Jean-Yves Le Capitaine – Chef de service à l’Institut Public La Persagotière – Nantes – Des pratiques intégratives aux politiques inclusives
Texte d’une conférence faite aux journées d’études des 18 et 19 avril 2013, sous le titre 1972-2012 – La surdité : réflexions et pratiques, École Intégrée Danielle Casanova, Argenteuil (95)
- La société inclusive, parlons-en. Il n’y a pas de vie minuscule. Charles GARDOU
- La perception du handicap – Intervention à la Biennale HANDI INSERTION
Les entretiens européens de l’insertion professionnelles des personnes handicapées » Lyon, les 17 et 18 novembre 1993